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l’âme du Maroc

Fès, Tlemcen, similitude et rivalité

Au sommet de sa puissance, la dynastie almohade considère plusieurs cités comme des capitales du vaste Empire. Sebta, Tlemcen, Fès, Séville et naturellement Marrakech et, épisodiquement Tunis.

La succession almohade est revendiquée par les Hafsides de Tunis, les Mérinides de Fès et les Banū ‘Abd al-Wād de Tlemcen ; ils ont à un moment ou à un autre, affiché des visées expansionnistes et ont revendiqué le titre suprême de calife. Leurs affrontements sont attisés par les ambitions et les intrigues des royaumes de Grenade, de l’Aragon et de la Castille de plus en plus interventionnistes.

Les monarchies de Fès et de Tlemcen sont à la recherche d’une légitimité d’autant plus nécessaire que les Hafsides étaient mieux placés car ils étaient issus de vétérans du mahdisme.

Il était essentiel de mobiliser la plume des intellectuels et d’obtenir l’obédience des élites.

Les dynasties de Tlemcen et de Fès sont toutes les deux issues de la grande tribu des Znata. Les chroniques expliquent leurs affrontements par une « haine ancestrale » selon la formule consacrée.

Pourtant, les motifs matériels plus terre à terre ne manquent pas ; une volonté expansionniste, des intérêts tangibles et l’émergence de nouvelles entités territoriales sont les plus évidents. La plupart des batailles ont pour but le contrôle des routes stratégiques dont celle qui relie Tlemcen à Sijilmāssa, soit la principale liaison entre la Méditerranée et l’Afrique Noire. Ces affrontements incessants, ont à maintes reprises, ruiné Tlemcen, ravagé sa campagne et ont certainement contribué au déclin de la région.

Les deux dynasties rivales partagent bien des revendications : le passé Idrisside de leur capitale qui leur permet de se réclamer d’une généalogie chérifienne ; ce dernier facteur est en train de devenir déterminant dans la course au pouvoir déjà féroce. Assassinats, complots et trahisons sont monnaie courante ; y sont impliqués toutes sortes de personnages dont des chrétiens, convertis ou non. Le plus fameux parmi ces « renégats » est Hilāl le Catalan. Hilāl est élevé à la cour et reçoit la même éducation que le prince Tachfine qu’il contribue à mettre sur le trône. À l’instigation de ce dernier il aurait assassiné le sultan Abū Hammou. Il jouit d’un pouvoir et d’un prestige incontestables et ses courtisans sont nombreux. Il n’échappe pourtant pas au sort de ses pairs car il est emprisonné puis assassiné.

Abū ‘Inān profite de la campagne de Ifriqiya pour se rebeller contre son père Abū al-Hassan et le chasser du pouvoir avant d’être lui-même étranglé par son ministre. Le roi de Grenade, Mohammed V est contraint de se réfugier à Fès avant de retrouver son trône à la faveur d’une nouvelle révolution de palais.

Entre le XIIIe et le XIVe Tlemcen connaît un brillant essor économique et culturel mais aussi de sombres périodes dont un siège aussi long que ravageur qui a marqué la mémoire maghrébine. La ville a payé le prix fort aux mutations vécues par le Maghreb ; l’émergence des nouvelles entités politiques se fait dans la douleur et les guerres. Dans son éloge d‘Abū al-Hassan, al-Musnad, Ibn Marzūq évoque la haine et le ressentiment de la population de Tlemcen contre le roi, qui après avoir juré de se venger, pardonne et fait cesser les pillages ! Abū al-Hassan ramène à Fès les savants les plus prestigieux de la cité vaincue dont les frères Ibn al Imam, Ibn ‘Abd an-Nūr, Tilimsāni.

Al-‘ bīlī maître d’Ibn Khaldūn, décide de partir en pèlerinage quand les Mérinides occupent la ville. En conflit avec les Banū ‘Abd al-Wād, il trouve refuge auprès de son ami le savant juif Khallūf al-Maghribi que Ibn Khaldūn considère comme « le plus grand mathématicien de la communauté juive de Fès ».

La ville jouit d’atouts naturels et stratégiques sans oublier un passé déjà prestigieux ; mais son territoire est bloqué entre les Hafsides et les Mérinides qui revendiquent la succession de l’empire almohade. Les Banou ‘Abd al-Wād nourrissent les mêmes ambitions ; les expéditions des Mérinides contre Tlemcen et Tunis ont pour arrière-plan l’annonce d’une crise politico-économique.

Le fructueux commerce saharien est en train de se déplacer vers l’Est et la Méditerranée est de plus en plus dominée par les flottes chrétiennes. Les Mérinides qui ont subi de multiples échecs en Andalousie, regardent désormais vers l’Est. Des frontières floues, qui ne cessent de bouger au gré de la fortune des armes, de l’attitude d’alliés peu fiables dont les chefs des tribus qui contrôlent des points stratégiques et sont d’autant plus difficiles à neutraliser que, nomades, ils bénéficient d’une mobilité que les armées organisées ne peuvent égaler dans un espace hostile. La principale route reliant Sijilmāssa à Tlemcen, la route dite de l’or, est âprement disputée ainsi que ses débouchés méditerranéens. Les puissantes tribus Ma‘qil, les plus redoutées, avaient été les alliées des rois de Tlemcen avant de devenir des clients, presque fidèles de Fès, grâce aux subsides et donations mérinides.

Les cours de Grenade, de Fès, de Tlemcen et de Tunis, sans oublier les cours chrétiennes, ne cessent de signer des traités aussitôt dénoncés ou oubliés et d’intriguer les unes contre les autres ; à côté des moyens militaires, ils ont aussi recours à la propagande, aux trahisons et à l’assassinat.

Chaque souverain prend soin de garder en réserve, ou en otage, un ou plusieurs prétendants qui pourraient servir de monnaie d’échange ou de marionnettes pour faire pression sur ses antagonistes.

Et d’attendre l’occasion pour introniser son candidat ! Les Mérinides installent le prince Abū Zāyn, éduqué à Fès, sur le trône de Tlemcen mais il est chassé par Abū Hammou, et la Castille appuie l’expédition de Abū Sālim contre le roi de Fès.

La cité n’a pas cessé de subir des attaques et des sièges dont le plus cruel a duré plus de sept ans et provoqué la ruine d’une campagne célèbre pour sa prospérité. Nombreux villages, abondance d’arbres fruitiers, commerce florissant et ports dynamiques comme Honaïn et Oran.

La compétition est vive pour étendre le territoire, embellir la capitale, y attirer savants, poètes et experts en architecture. Plusieurs ouvrages ont été consacrés aux monuments de Fès et de Tlemcen où l’émulation entre les bâtisseurs est criante ! Déjà au XIIe siècle, al-‘Ubbād, dans les environs de Tlemcen, est un lieu de pèlerinage où les soufis aiment se retrouver. La tombe d’Abū Madyān lui confère un prestige sans précédent ; père fondateur du mysticisme maghrébin il est devenu le saint patron de la cité. Son mausolée et sa mosquée sont agrandis et embellis par Abū al-Hassan qui y ajoute une médersa et consacre des biens de mainmorte pour l’entretien de l’ensemble ; le pèlerinage qui a lieu chaque mercredi attire bien des croyants et les princes n’hésitent pas à s’y rendre en grande pompe. Al-‘Ubbād est désormais un centre religieux et économique incontournable et sa richesse et son prestige ne peuvent être comparés à cette époque qu’au mausolée d’Abū al-‘Abbās es-Sebti à Marrakech. Sa gestion est confiée à la vénérable famille des Banū Marzūq. Parmi les intellectuels qui y font retraite on trouve Ibn ‘Abd al-Mālik al-Murrākushi , l’auteur de Dhayl wa Takmila, Ibn Qanfūd, Ibn al-Hadj Nūmayri ainsi que l’auteur de Nafh at-Tīb, al-Maqqarī, qui s’y retire plus de 200 fois avant de décider de s’exiler.

La cité est régulièrement relevée de ses ruines. Après avoir fortifié une nouvelle fois Tlemcen, Abū Tachfine « y éleva aussi des constructions d’une architecture admirable, des pavillons d’une forme rare, de vastes bassins, des châteaux forts; il planta des jardins en toutes sortes de fruits », témoigne al-‘Omari qui précise que la ville est un noeud vital entre l’Afrique profonde et la Méditerranée ; ivoire, or, sel, gomme, bois précieux… sont échangés à Oran et à Honaïn, ports fréquentés par les commerçants européens, particulièrement les Aragonais.

Si la ville de al-Mansūra, fondée par les Mérinides, a connu un rapide essor qui semble menacer la capitale, cet éclat est sans lendemain.

La commémoration de la naissance du Prophète donne lieu à une surenchère de faste. L’importance prise par cette fête sous le règne des Mérinides est souvent évoquée mais la splendeur de la cérémonie à Tlemcen égale et parfois surpasse les festivités de Fès : richesses des tissus, brocarts, tapis, cierges, encensoirs et brûle-parfums en or, flambeaux, musiques et chants. Cette célébration, qui faisait encore polémique, va de pair avec la glorification de la famille régnante et ses prétentions généalogiques.

L’étalage du luxe, la prodigalité et le gaspillage de grandes quantités de cire pour les illuminations sont critiqués par des théologiens sourcilleux dans les deux cités, ainsi que les arts décoratifs et l’emploi de matériaux précieux : cristal, ivoire, cuivre, or, bronze, argent, zelliges, bois rares ; c’est l’apogée d’une architecture aux décors chargés. Les mêmes moyens sont mobilisés pour asseoir et renforcer la légitimité.

L’annexion de Tlemcen revêt un tournant dans la politique mérinide ; l’élimination, provisoire, des Banū Zayān et les tractations avec les tribus qui les appuyaient encouragent les rois de Fès à se proclamer califes.

La circulation des hommes et des biens entre Fès et Tlemcen, régulière depuis des siècles, s’est amplifiée depuis l’organisation officielle de la caravane du pèlerinage, rakb al-Hajj, qui passe par le couloir de Taza ; ces routes sont empruntées par des armées qui provoquent parfois des dégâts et nuisent aux échanges : les soldats qui n’ont ni salaires réguliers ni vivres assurés et suffisants hésitent rarement à dépouiller les populations. Et le phénomène est aggravé par la présence de tribus toujours à la limite de la rébellion. Déjà à la fin du XIIIe siècle, le marocain Al-‘Abdari est contraint d’attendre que les caravanes se rassemblent par milliers pour éviter les attaques des coupeurs de route. Ce voyageur grincheux insiste sur le déclin du savoir à Tlemcen et se montre particulièrement injuste envers les élites de la cité ; seul le poète Ibn Khamīs trouve grâce aux yeux de notre voyageur dont le récit n’est pas toujours dénué de préjugés. Le patrimoine culturel de la cité est pourtant encore important. L’auteur de Nafh at-Tīb ne cesse d’évoquer les ouvrages du XIIIe et XIVe qu’il a consultés et répète, à propos d’ouvrages disparus : « je l’ai vu à Tlemcen, je l’ai lu ». Il donne les noms des copistes et précise le nombre d’exemplaires qu’il a recensés dans les nombreuses bibliothèques qui existent encore à son époque, à la fin du XVIe siècle.

Parmi l’élite de Tlemcen rares sont les membres qui ne passent pas par Fès et beaucoup s’y installent définitivement. Des personnalités de premier plan, savants, soufis et princes, vivent à Fès et quelques uns occupent des postes prestigieux à la cour mérinide. Nous avons la chance de disposer de témoignages concordants dont celui d’Ibn Khaldūn et d’Ibn al-Khatīb sur ces dignitaires qui se déplacent entre la cour de Tlemcen et celle de Fès.

Le plus prestigieux, est qualifié par Ibn al-Khatīb, de hājib, raïs et Sāhib al-Qalam al-A‘la. Mohammed Tamimi, chancelier d’Abū ‘Inān, jouit d’un statut exceptionnel. Le roi lui avait accordé des privilèges exorbitants ; il avait droit à dix pavillons et dix tambours et avait occupé des postes, dont celui de gouverneur tout puissant d’une partie de l’Ifriqiya. Prince de Bougie, il meurt dans cette ville et, à l’instar des grands dignitaires, sa dépouille est transportée pour être ensevelie dans sa ville natale. Il appartient à une vieille famille de magistrats de Tlemcen d’origine andalouse. Les chroniques comparent l’influence de Tamimi à celle de la famille légendaire des Barmécides de Bagdad.

Ali ibn Sa‘oud ou Mas‘oud al-Khuzā‘i présente le même profil. Tlemcenien d’origine andalouse sa famille a servi le pouvoir depuis plusieurs générations. Notre personnage a joué le rôle de ministre des Finances, al-Ashghāl as-Sultāniya, auprès d’Abū ‘Inān après avoir été au service des Banū Zayān. Al-Ghuzā‘i s’était distingué dans plusieurs disciplines dont la calligraphie et la poésie qui ne sont pas des moindres. Les témoignages dithyrambiques, énumèrent ses multiples talents. Leur contemporain et concitoyen Abū ‘Abdallāh Ibn ‘Abd an-Nūr était cadi des armées ! Famille prestigieuse de Tlemcen, celle des al-Maqqarī illustre les forts liens avec Fès mais aussi l’importance des échanges avec l’Afrique Noire. Pendant des générations ses membres ont brillé aussi bien dans la culture que dans le commerce. Mais la famille est restée célèbre par une organisation d’une étonnante modernité. Mettant en commun leurs capitaux, cinq frères al-Maqqarī ont fondé une entreprise spécialisée dans le commerce transsaharien. Ils ont aménagé les itinéraires, creusé des puits et assuré la sécurité des liaisons. Deux frères résident à Tlemcen, le troisième à Sijilmāssa et les deux derniers à Iwalatan. Ils contrôlent le marché de l’or, du kola, de l’ivoire, etc.

Né à Tlemcen, leur aïeul, Abū ‘Abdallāh, mort à Fès est enterré, à l’instar des membres de l’élite, dans sa ville natale. Il avait été cadi à Tlemcen puis à Fès et avait été chargé de mission à Grenade.

Ses cours ont été suivis par les meilleurs esprits dont Ibn al-Khatīb et les deux frères Ibn Khaldūn.

Aussi riches qu’érudits, les Maqqārī avaient acquis de précieux manuscrits et laissé de riches bibliothèques que leur descendant, admirateur de Ibn al-Khatīb a brillamment exploitées dans son monumental Nafh at-Tīb.

Le prestige des savants et leur succès ne les met pas à l’abri de l’arbitraire du souverain ; certains vivent dans la clandestinité et d’autres s’exilent pour échapper à la répression ou à la colère capricieuse des princes. Quelques uns fuient parce qu’ils ont été nommés à des postes qui mettent en danger leurs scrupules. Le cas le plus illustre est celui de al- bili.

Ceux qui sont versés en sciences rationnelles forment un cercle à la limite de la clandestinité où se côtoient juifs et musulmans, soufis et mathématiciens mais aussi, probablement alchimistes ! Ils forment un réseau qui relie aussi bien les cités que les montagnes du Haut Atlas mais qui est encore mal élucidé.

Princes, courtisans, poètes et savants sont tiraillés entre les offres alléchantes des princes de Grenade, de Fès, de Tlemcen et de Tunis et les risques encourus. Ibn Khamīs Tilimsāni, a témoigné de cette instabilité : « Je suis comme le sang, ma nature est la circulation ».

Divers liens unissent ces savants qui appartiennent souvent aux mêmes familles, partagent les mêmes cursus, se revendiquent des mêmes maîtres et entretiennent des relations épistolaires. Mais dans ce milieu si proche du pouvoir, l’amitié peut se transformer en une haine féroce comme ce fut le cas du ministre grenadin en sa relation avec Ibn al-Khatīb et Ibn Zamrak ? Ces personnages dominent la magistrature et la chancellerie dans les principales cités du Maghreb, Andalousie comprise.

Historiographe des Mérinides, Ibn al-Ahmar, prince grenadin, fustige les rois de Tlemcen et n’hésite pas à se contredire et même à travestir les faits. Réfugié à Fès, il ne cesse de rappeler la noblesse de ses origines. A la cour de Fès, il côtoie d’autres exilés prestigieux dont des Banū al-Azafi de Sebta, des Banū Zayān de Tlemcen ainsi que quelques princes chrétiens aragonais ou castillans. Le portrait qu’il dresse de Abū Tachfine est démenti par le témoignage des autres chroniqueurs qui saluent la bravoure du prince de Tlemcen tandis qu’il insiste sur sa lâcheté.

Mais les contradictions ne semblent guère gêner notre auteur comme l’atteste une simple comparaison entre ses deux ouvrages, Rawdat al-Nisrin et Nathir al-Jumān. Dans cette anthologie il fait l’éloge hyperbolique de plusieurs princes et rois de Tlemcen qu’il a connus et fréquentés, tant à Fès qu’à Tlemcen.

Yahyā Ibn Khaldūn, frère de l’auteur de al-‘Ibar, historiographe des Banū ‘Abd al-Wād, est arrêté, ses biens sont confisqués et il finit par être assassiné par le prince héritier de Tlemcen ; il avait abandonné son bienfaiteur Abū Hammou pour le mérinide avant de faire amende honorable et retrouver sa charge. Son éminent frère ‘Abd ar-Rahmān a été arrêté et jeté en prison plus d’une fois. Le tout puissant ministre grenadin, Ibn al-Khatīb, est exilé à Fès avant de connaître une fin horrible.

Autre thuriféraire, Abū ‘Abdallāh Ibn Marzūq, prédicateur à al-‘Ubbād, appartient à un puissant clan familial et a occupé plusieurs postes prestigieux, à Tlemcen, à Fès et à Grenade. Mais, comme tous ses autres collègues, il a été emprisonné et a choisi l’exil.

La quasi totalité des biographies des savants de cette époque présente le même schéma : faveur, exil, fortune, disgrâce, emprisonnement, confiscation des biens.

Même les soufis cèdent à l’attrait du pouvoir comme le chambellan Mohammed Tamimi déjà évoqué.

Ces nouveaux soufis ont renoncé au traditionnel ascétisme pour intégrer les cercles du pouvoir.

Né à Tlemcen al- bili quitte la ville occupée par les Mérinides pour partir en Orient. Si ses pérégrinations gardent encore leur mystère, tous les contemporains saluent son génie même s’il n’a guère écrit. C’est l’un des esprits les plus percutants de son époque ; sagace, il porte des jugements pertinents sur la relation du pouvoir avec les savants. Il estime que les madrasas contribuent à scléroser l’enseignement et à priver les savants de leur indépendance. Il avait confié à Ibn Khaldūn le texte du testament du roi de Tlemcen, Yaghmourassen, qui recommande à son fils de renoncer à combattre les Mérinides trop puissants et de se retourner contre les Hafsides.

L’obsession du Temps ? Le débat autour de l’orientation des mosquées a généré une importante littérature. L’indication de la qibla est souvent contestée à une époque où l’on construit nombre de mosquées et d’oratoires ainsi que les salles de prières des médersas.

La vogue des automates et des clepsydres est patente ; on en fabrique, on en achète et l’on en reçoit en cadeaux en particulier de Gênes et de Venise. Les princes semblent obsédés par le temps et ils rivalisent dans l’acquisition d’horloges plus impressionnantes les unes que les autres. On ne trouve guère d’allusion à cet engouement pour les automates dans l’histoire générale où les études passent sans hésitation de l’Antiquité à la Renaissance en omettant toute référence à l’espace de l’Islam. Ne peut-on pas comparer l’horloge monumentale de Tlemcen à l’Horloge Astronomique de Strasbourg ou à celle de Saint Marc de Venise ? La « magana » est un objet monumental et complexe ; les heures sont ponctuées par l’irruption d’une belle femme tenant dans sa main droite une feuille avec un poème et la main gauche posée sur les lèvres. Les représentations figurées, en principe interdites par l’orthodoxie, semblent se multiplier. Des créatures surgissent pour marquer le temps : un aigle, un oiseau avec sa couvée et d’autres animaux qui représentent, vraisemblablement, les signes du zodiaque (scorpion, bélier). Les domestiques qui assurent le service portent de luxueuses livrées en soie chatoyante.

Ibn al-Fahhām avait réalisé pour le sultan Abū Hammou II une horloge remarquable par ses dimensions et la complexité de ses mécanismes. C’est le même savant qui met au point l’horloge hydraulique de la Médersa Bū ‘Ināniya. Encore plus impressionnante celle de la mosquée al-Qarawiyyine, longuement décrite par al-Djaznaï. La plupart des savants et techniciens viennent de Tlemcen dont Ibn al-Habbāk, Mohammad ibn ‘Abdallāh Senhāji et ‘Ali Ibn Ahmad Tilimsāni. La liste de ces astronomes est fort longue même si nous n’avons que peu d’informations sur leurs cursus.

La mise au point de ces premiers automates nécessitent diverses équipes d’artisans et de savants.

Un véritable engouement pour les plantes décoratives et les décors floraux contribuent au rayonnement des capitales et les machines hydrauliques, de plus en plus gigantesques, permettent l’irrigation de vastes jardins à Fès comme à Tlemcen.

Une remarque s’impose pourtant ; tous ces efforts scientifiques ne se préoccupent guère d’applications concrètes comme la production agricole ou industrielle. Le but est d’embellir les jardins et de domestiquer l’eau pour le seul prestige du prince et de son entourage. Au même moment, sur l’autre rive de la Méditerranée, on agit dans le but d’améliorer le rendement des produits agricoles et textiles. Ainsi les roues hydrauliques participent plus à l’embellissement urbain qu’à un vrai progrès agricole. Seules exceptions, les belles fontaines publiques ! L’auteur de Uns al-Faqīr, lui-même astronome reconnu, s’émerveille en précisant que al-Lijāi, célèbre soufi de Fès, avait mis au point un astrolabe hydraulique aussi original que complexe.

Quelques récits hagiographiques laissent penser que des efforts ont été faits pour améliorer les arbres fruitiers. On décrit d’admirables fruits, dont des pommes et des coings qui abondent dans les vergers de la famille des Banū Marzūq.

Même si elles ont perdu depuis longtemps leur statut de capitales, les deux cités restent emblématiques.

L’accent, les habitudes, la cuisine et le raffinement se ressemblent et il y a plus de similitude entre Fès et Tlemcen qu’entre Fès et Marrakech qui a toujours gardé des traits ruraux.

Le parallèle entre les monuments des deux cités est quasi automatique ; le palais de Abū Tachfine supporte largement la comparaison avec les résidences royales de Grenade et de Fès et on ne peut évoquer les Médersas des Banū Imām et la Tachfiniya de Tlemcen sans évoquer la Bū ‘Ināniya de Fès.

Déjà au XVIe siècle Léon l’Africain est frappé par la similitude des deux cités « Tous les métiers sont répartis entre diverses places et diverses rues comme nous l’avons dit pour Fez », a-t-il écrit dans sa description de Tlemcen ; évoquant les monuments de la cité, il précise « Les uns ont été bâtis par les rois de Tlemcen les autres par les rois de Fez...les commerçants et les citadins sont bien habillés, parfois mieux que ceux de Fez », et Léon de conclure « J’omets nombre de détails sur les coutumes et sur l’organisation de cette cour parce qu’elles sont semblables à celles dont je vous ai parlées à propos de la cour de Fez ».

Bien plus tard, au XIXe siècle, la prise de Tlemcen par les Français a provoqué un nouvel exode des Tlemceniens vers Fès où ils ont joué un grand rôle dans l’appareil de l’État.